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Lanto RASOLOELISON: « Il est temps de résoudre les problèmes »

Lanto RASOLOELISON: « Il est temps de résoudre les problèmes »

 

INVITÉ DE L’ÉCONOMIE du bulletin Tahiry n°56 | Lantoniaina RASOLOELISON Ministre de l’Eau, de l’Energie et des Hydrocarbures

« Certes le constat est amer...Il est temps de résoudre les problèmes »

Gazety Tahiry (GT) : Les difficultés financières chroniques de la JIRAMA figurent parmi les causes principales de la crise énergétique que traverse Madagascar. Les partenaires techniques et financiers parlent même d’un « gouffre financier ». Quelle est aujourd’hui la situation financière de la JIRAMA?
Lantoniaina Rasoloelison (LR): La situation financière de la JIRAMA peut être qualifiée de catastrophique. Elle est en effet déficitaire depuis 2011. Nous envisageons l’équilibre financier opérationnel à l’horizon 2020. Le capital social de la compagnie nationale d’eau et d’électricité s’élève à seulement 52 milliards MGA. Ses capitaux propres sont déficitaires, soit environ – 750 milliards MGA en 2014. Ce chiffre officiel a été validé après le dernier audit effectué par les commissaires aux comptes. Faut-il rappeler qu’il n’y avait pas de commissaire aux comptes pendant les deux dernières années auprès de la JIRAMA. On n’en a recruté qu’en février 2017. L’apurement du compte de 2014 figure parmi nos objectifs avant d’entamer celui de 2015 et 2016. Par ailleurs, le problème de recouvrement constitue une épine dans les pieds de la compagnie. Le recouvrement au niveau des particuliers est effectué en moyenne jusqu’à 90% des factures émises. Le recouvrement des arriérés atteint parfois 125%. En revanche, le recouvrement des factures de l’administration demeure un problème incommensurable. Face à cette situation financière catastrophique, nous avons bénéficié de 300 milliards MGA de subvention autorisée destinée à payer les factures des pétroliers en 2016, le carburant ayant coûté 640 milliards MGA à la même année.

GT- Justement les bailleurs de fonds semblent voir de mauvais œil la subvention étatique…
LR: Actuellement, 14% des ménages ont accès à l’électricité. Ce qui est à l’origine du débat. L’Etat malgache est pointé du doigt d’avoir dépensé beaucoup d’argent public pour une minorité. Ce n’est pas toujours faux mais il ne faut surtout pas oublier que l’électricité produite par la JIRAMA sert aussi à faire fonctionner l’Etat dans l’ensemble, voire la nation toute entière. Etant un moteur de la croissance économique, l’énergie produite par la compagnie grâce en partie aux subventions est vitale pour l’économie.

GT : Qu’en est-il de la capacité de production de la JIRAMA.
LR : Je tiens à souligner que le taux de perte technique de la JIRAMA est actuellement évalué à environ 32 à 35%. Partout dans le monde, ce taux se situe entre 12 et 15 % contre environ 18% en Afrique. Nous avons de ce fait un réel problème étant donné que nous avons même franchi le cap du 30%. Pour ce qui concerne le réseau interconnecté Antananarivo (RIA), notre capacité disponible actuellement est évaluée à 89% pour l’hydraulique. Les fournisseurs privés contribuent à hauteur de 69%. Les problèmes d’ensablement et les débris emmenés par le cyclone réduisent considérablement notre capacité. Quant à l’énergie issue des centrales thermiques, la JIRAMA ne dispose plus que 8% des capacités nominales à cause de l’indisponibilité même des machines. Il ne s’agit pas uniquement de pannes mais aussi des groupes qui ne sont plus fonctionnels.

GT : Concrètement, quelles solutions proposez-vous pour le redressement de la compagnie ?
LR : Certes, le constat est amer. Mais il ne faut surtout pas rester les bras croisés et se lamenter. Il est temps de résoudre ces problèmes. Durant les trois mois où j’ai été Administrateur Délégué Général de la compagnie, ma mission a été d’instaurer ou plutôt initier la remise en place de la bonne gouvernance par la transparence. Il s’agit de mener à son terme le processus de restructuration. Nous avons procédé au recrutement du Directeur général. Le redressement de la JIRAMA figure dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’Amélioration de la Gouvernance et de l’Opération du Secteur de l’Electricité (PAGOSE) financé par la Banque mondiale. Nous devons mettre la compagnie sur de bons rails. Mais c’est au Directeur général et son équipe de le mettre en marche. Nous lui avons transmis le flambeau en lui montrant le chemin. Un nouvel organigramme sera finalisé ainsi qu’un nouveau statut. Faut-il rappeler que les textes relatifs à la JIRAMA datent encore de l’époque socialiste de 1975. Il ne faut pas non plus oublier que la JIRAMA est une société commerciale qui produit et qui vend de l’énergie. Elle n’a pas vocation à distribuer gratuitement de l’énergie. En outre, la valorisation de nos ressources humaines n’est pas en reste. Des agents de recouvrement, releveurs et verbalisateurs ont été formés très récemment. Ces derniers ont prêté serment le 6 mars 2017. Un décret leur a accordé la qualité d’officier de police judiciaire. Ils sont aussi là pour mettre fin aux mauvaises pratiques, qui sont malheureusement monnaies courantes au sein de la société. Il faut également inculquer aux agents le respect des règles les plus élémentaires dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Et enfin, nous essayons de privilégier la communication avec les usagers pour qu’ils puissent au moins connaitre les causes des désagréments dont ils sont victimes et que nous puissions apporter des solutions au plus vite.

GT : Quelles sont les mesures prises pour assainir les finances de la compagnie ?
LR : La JIRAMA doit dorénavant adopter la transparence et l’orthodoxie financière. Elle doit être bien gérée comme une société commerciale digne de ce nom. Il faut ainsi générer des profits, maitriser ses coûts et assurer les services demandés. En d’autres termes, le redressement doit passer par l’amélioration de la gestion financière. La viabilité financière de la compagnie dépend également des investissements dans le secteur énergie. La JIRAMA a aussi entamé le recouvrement des créances. Toutes les factures émises doivent être recouvrées. Ceux qui ont des dettes auprès de la compagnie seront identifiés et ils devront tous payer sans distinction. Les responsables des vols doivent être également traqués et traduits en justice.

GT : Et pour ce qui est des dépenses engendrées par l’achat des carburants ?
LR : La JIRAMA travaille également sur la réduction des coûts, notamment pour l’achat du carburant. Rien qu’au mois de février 2017, le litre du gazole a été acheté à 4480 MGA. Nous avons payé 30 % de plus car le prix à la pompe était encore à 3150 MGA. Nous procédons aujourd’hui par appel d’offre. Afin de réduire les coûts, la compagnie mise surtout sur le fuel et hybride, à savoir solaire et fuel ou solaire et biomasse. Le mode de production traditionnel est insuffisant pour satisfaire la demande. A titre d’illustration, la sècheresse aussi bien que l’abondance des pluies nous ont toujours fortement pénalisé. Ainsi, il faut diversifier les modes de production.

GT : Est-il vrai que la JIRAMA vend à perte son électricité ?
LR : Effectivement le kilowattheure est vendu à perte. Le prix moyen à Antananarivo est de 240 MGA par kW alors que le coût de revient est de 750 MGA. Il n’est guère étonnant que le coût de revente de l’électricité et/ou de l’eau ne couvre même pas les frais opérationnels. Il faut procéder coûte que coûte à l’équilibre. D’où la hausse des tarifs pour une maîtrise des coûts. La transition vers l’énergie verte est de ce fait incontournable. L’amélioration du taux de rendement est plus que nécessaire. Actuellement nous ne sommes qu’à 68%, les pertes technique étant estimé à 32%. Actuellement, nous procédons à l’installation des compteurs appelés « Smart Meters ». Grâce au programme PAGOSE, les équipements électriques et les lignes de transport seront rénovés. Cependant, la JIRAMA utilise quand même le peu de moyens à sa disposition pour résoudre les problèmes ponctuels comme les pannes d’électricité. Pendant un mois, plus de 200 coupures de lignes de transport d’électricité ont été recensées. Des pannes à cause de l’explosion de transformateurs électriques sont très fréquentes et les branchements illicites en sont les principales causes.

GT : Quelles sont les perspectives à moyen terme et à long terme concernant l’augmentation de la capacité de production?
LR : Madagascar dispose d’une potentialité énorme en matière de production d’énergie. Notre potentiel hydroélectrique est estimé à 7800 MW. Actuellement, seulement 165 MW sont exploités. Quant à l’énergie solaire, notre pays dispose annuellement de 280 jours d’ensoleillement. D’autres ressources énergétiques comme les biomasses et la bioénergie sont également disponibles et quasiment inexploitées. A moyen terme, les centrales thermiques des grandes villes subiront des modifications pour qu’elles puissent fonctionner au fuel lourd. Depuis février 2017, 10 MW sont disponibles auprès de la centrale de Mandroseza. Cela a été suivi par des productions additionnelles dont 40 MW pour celle d’Ambohimanambola et 60 MW de plus pour la centrale d’Ambohimanambola II. Ces 110 MW devraient combler le déficit actuel pour le réseau interconnecté d’Antananarivo. Pour ce qui concerne la politique énergétique de Madagascar, elle doit être basée sur la multiplication et la diversification des sources d’énergie. Entre le moyen et le long terme, la transition énergétique doit passer par la transformation de toutes les unités de production d’électricité en fuel lourd. Des procédés qui se feront dans le respect de toutes les procédures de passation de marchés publics.

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