REPORTAGE

Nelly Rakotobe Ralambondrainy : « Le Code du Travail est très mal appliqué »

Nelly Rakotobe Ralambondrainy : « Le Code du Travail est très mal appliqué » Spécialiste en Droit du travail, formateur à l’Ecole Nationale de la Magistrature et des Greffes (ENMG), co-auteure du livre « Les relations individuelles du travail » avec feu Professeur Ignace Rakoto, Nelly Rakotobe Ralambondrainy nous donne son avis sur l’application de la loi 2003-044 portant Code du Travail à Madagascar.

Le Code du Travail en vigueur est-il approprié pour Madagascar ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que la législation du travail qui régit le monde du travail comprend non seulement le code du travail mais tous les textes d’application. Etant membre de l’Organisation Internationale de Travail (OIT), les conventions internationales du travail que Madagascar a ratifié sont tout aussi concernées. Lorsqu’on ratifie une convention, elle devient obligatoire et elle est même supérieure à une loi. Tout ça pour dire que nous avons toute une législation du travail complète et ainsi appropriée au pays.

Comment trouvez-vous l’application de cette législation de travail ?

Elle est très mal appliquée. Et le problème se pose toujours. Si l’on considère la loi elle-même, tous les textes ont été murement étudiés et bien réfléchis entre les trois entités qu’on appelle le tripartisme regroupant le représentant des travailleurs, le représentant des employeurs et l’Etat. Tout texte sur les relations de droit de travail doit d’abord passer par ce tripartisme avant d’être présenté au Parlement. Donc, la législation en elle-même est bonne. Malheureusement, c’est dans l’application qu’il y a problème parce que finalement la loi n’est pas vraiment effective.

Le cas des syndicats constitue une parfaite illustration. Le code prévoit la protection des délégués syndicaux et des délégués du personnel. Il en est de même pour la liberté syndicale. Chaque travailleur est libre de s’affilier ou non à un syndicat. Cependant, très peu de travailleurs- à peine 10 % - sont syndiqués. Pourquoi ? Parce que les employeurs savent que les syndicats et les délégués de personnel vont leur créer de problèmes quand ils revendiquent quelque chose. A cet effet, les menaces sur les travailleurs sont fréquentes de la part des employeurs. Si on se présente comme délégué du personnel ou affilié à un syndicat, on est invité à quitter l’entreprise.

Tous les employeurs sont-ils concernés par ce non application du Code du Travail ?

Compte-tenu de la situation actuelle de Madagascar où sévit la pauvreté extrême, nous avons deux catégories d’employeurs. La première regroupe les employeurs individuels malgaches, ceux qui exercent dans les secteurs informels et ceux qui emploient des domestiques. L’employeur lui-même dans cette catégorie ne dispose pas forcément suffisamment de ressources et ne peut pas respecter toutes les prescriptions de la loi. D’un autre côté, le demandeur d’emploi, dans une situation encore plus précaire, va accepter n’importe quel salaire pourvu qu’elle ait une certaine somme à la fin du mois. D’ailleurs il y a des statistiques qui mentionnent que le salaire des personnes dans la domesticité varie en moyenne de 50000 à 60000 MGA soit très loin du salaire minimum d’embauche.

Dans la deuxième catégorie, vous avez les investisseurs nationaux et internationaux dont les entreprises franches donc les entreprises formelles. Parmi eux figurent, celles qui sont très respectueuses de la législation. Elles n’ont pratiquement pas de conflits sociaux parce qu’il y a une plateforme de dialogue et les travailleurs sont bien traités. Par contre, il y a d’autres employeurs, et malheureusement pour la plupart des étrangers, qui imposent leur vision, sur la manière de traiter les travailleurs, principalement au niveau du salaire. Etant des investisseurs étrangers, ils estiment que la législation de travail ne les concerne pas.

« Les syndicats ne doivent pas uniquement revendiquer »

Est-ce que vous trouvez qu’à Madagascar les abus de la part des patrons sont courants ?

Evidemment, mais pas tous ! Comme je viens de le dire, nous avons deux catégories d’employeurs. Je tiens d’ailleurs à souligner que les grandes entreprises malgaches respectent le droit des travailleurs à l’exemple des assurances et des garages entre autres. Mais ce sont surtout les entreprises appartenant à des étrangers qui nous causent parfois de problèmes. Ils ne respectent pas la loi et après ils se demandent pourquoi n’ont-ils pas gagné au tribunal.

Des travailleurs victimes d’abus ont peur de dénoncer leur employeur à cause de la corruption qui règne auprès de la Justice. Leur crainte est-elle fondée ?

La grande majorité des travailleurs qui traînent leur employeur en justice ont été victimes de licenciement, soit des personnes qui ont été privées de leur source de revenu. La plupart se trouvent donc en difficulté financière. Avec quels moyens voulez-vous qu’ils corrompent la justice ? Et pourtant, je peux vous garantir que 99% d’entre eux ont gain de cause, grâce à notre législation qui est très protectrice des travailleurs.

Par rapport à la transgression du Code du Travail par les investisseurs, l’Etat craint la fuite de capitaux si jamais la loi est appliquée stricto sensu, les employés ont peur de se retrouver au chômage. Que faut-il faire pour briser ce cercle vicieux ?

C’est une question de volonté. Le dialogue social figure d’ailleurs dans l’objectif des conventions de l’OIT. Il faut faire comprendre aux entreprises que le social joue un rôle important dans son épanouissement. Le conflit entre le social et l’économie est à mon avis un faux problème. C’est à l’Etat d’intervenir pour changer cette mentalité des investisseurs. Si les travailleurs restent tout le temps au bas de l’échelle sans la possibilité de se développer, le pays cours à la faillite même si les investisseurs restent là.

Quel est le rôle du syndicat dans tout ça ?

Toutes les entreprises doivent respecter le Code du Travail en totalité et surtout au niveau de la grille indiciaire. Si ce n’est pas le cas, les travailleurs ont le droit de porter plainte, les syndicats peuvent les représenter. D’ailleurs, ces derniers doivent travailler pour augmenter leurs adhérents et casser cette image d’obédience politique. Il faut qu’ils deviennent plus représentatifs en adhérant le plus de membres possibles. Ils ne doivent pas non plus se contenter de revendiquer. Il faut qu’ils se forment eux-mêmes et forment les travailleurs sur leurs droits et leurs obligations. Parce que si les travailleurs et les syndicats se contentent de séquestrer l’employeur, il est normal qu’ils n’obtiennent pas de résultat. En France, vous avez tous les syndicats assujettis et lorsqu’ils se lèvent, les employeurs se font petits. Il faut arriver à avoir cela à Madagascar.

Nul n’est censé ignorer la loi…

La responsabilité des syndicats est très importante dans ce sens. Il lui revient d’éduquer les travailleurs sur la législation de travail, leur apprendre les codes, leurs droits aussi bien que leurs obligations. Les employeurs doivent également connaître le code du travail. Nombreuses entreprises se plaignent après avoir perdu une affaire alors qu’elles ont engagé les meilleurs avocats. Or même ces derniers ne peuvent pas rattraper leurs erreurs.

« Des employeurs ne respectent pas les formalités »

Ne pensez-vous pas que le Code du Travail devrait alors être révisé ? Des syndicats soulignent par exemple la nécessité de mettre à jour la liste des maladies professionnelles ou encore les motifs de licenciement…

Je le répète le Code en lui-même est bien. En ce qui concerne la maladie professionnelle, je suis tout à fait d’accord. D’ailleurs le Code de la prévoyance sociale indique que celle-ci doit être mise à jour par un arrêté interministériel tous les deux ans. Or la liste qui existe maintenant date de 1962. A cette époque des secteurs tels que l’informatique n’ont même pas existé. Prenons le cas de la filière vanille où vous avez des enfants qui y travaillent, des maladies peuvent être rencontrées à cause des pollens qui sont très nocifs pour la voie respiratoire. Le médecin constate qu’il s’agit d’une maladie professionnelle, il en est de même pour l’employeur. Mais la CNAPS (Caisse nationale de prévoyance sociale) refuse de payer parce que ce n’est pas inscrite dans la liste établie en 1962.

En ce qui concerne les motifs de licenciement, aucune liste ne définit un licenciement abusif mais le code prévoit des principes. Ces principes, les tribunaux les appliquent cas par cas. Le texte prévoit également des formalités à respecter. C’est pour ça que les employeurs sont majoritairement condamnés car les formalités ne sont pas souvent respectées.

Le Code du Travail prévoit en effet différentes formalités liées au motif de licenciement. Il revient donc à mon avis à l’employeur d’établir la liste dans le règlement intérieur ou à travers une convention collective mais elle ne doit pas être inscrite dans la loi sinon elle va limiter la possibilité pour le juge d’apprécier s’il y avait de l’abus dans le licenciement ou non.

Le Code du Travail est donc très sévère envers les employeurs…

Pas vraiment. Prenons l’exemple du licenciement économique. Avant, l’employeur même s’il est en difficulté économique, il devait obtenir l’autorisation d’un inspecteur de travail avant de se séparer de ses employés. Les employeurs ont contesté cette règlementation et aujourd’hui, ce n’est plus une autorisation d’un inspecteur de travail qui est exigée mais juste un avis. Le législateur a estimé qu’avec un problème économique, c’est au dirigeant de réorganiser son entreprise et de décider s’il doit procéder à une compression de personnel ou non. Il doit juste aviser un inspecteur du travail. Vous voyez donc que la législation est déjà beaucoup plus souple à ce niveau-là. Et puis s’ils respectent ce qui est inscrit dans la loi, ils n’ont pas de souci à se faire.

Qu’en est-il du choix des employés à licencier ?

Si l’entreprise procède à ce qu’on appelle une compression du personnel, ses dirigeants doivent aviser le comité d’entreprise et établir avec les délégués du personnel la liste des personnes à licencier. S’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la liste, la décision finale revient à l’inspecteur du travail. Ce dernier doit d’ailleurs émettre son avis sur la liste pour éviter toute forme de discrimination mais également pour éviter que l’entreprise profite de sa situation pour se séparer de ceux que les employeurs qualifient comme « fauteurs de trouble » dont les délégués du personnel.

En cas de cessation d’activité, est-ce-que les employeurs ont certaines obligations vis-à-vis des travailleurs ?

Il faut que la cessation d’activité soit déjà réellement fondée sur des difficultés économiques. Les responsables n’ont pas à demander l’avis de l’inspection de travail sur le licenciement mais si jamais ils reprennent leur activité, ils doivent prioriser ses anciens employés dans leur recrutement.

Qu’en est-il de la protection des mineurs ?

La loi est très protectrice des mineurs. Les mineurs âgés de moins de 18 ans ne sont pas autorisés à travailler. Par contre, il y a le principe. Ceux qui ont entre 15 et 18 ans peuvent effectuer ce qu’on appelle des travaux légers mais pour tous les mineurs, il y a une interdiction absolue de ce qu’on appelle des pires formes de travail des enfants. La domesticité figure dans la liste des pires formes de travail. Le problème c’est que la domesticité se passe auprès des ménages et les inspecteurs de travail ne peuvent pas s’y introduire pour vérifier leur condition de vie. C’est à ce niveau que des modifications de texte devraient être effectuées.

Est-ce que vous trouvez que le SME est adapté à la situation économique du pays ? Certaines personnes disent qu’il doit être multiplié par trois...

Le salaire minimum est calculé sur la base du budget d’un travailleur célibataire au plus bas de l’échelle, donc un manœuvre. Si nous voulons instaurer un travail décent, il faut refaire le calcul. Il faut voir le prix minimum des loyers, les frais de scolarité, l’alimentation, l’habillement… Est-ce que les 144000 MGA sont selon vous assez pour vivre ? C’est loin d’être suffisant même pour une personne célibataire.

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