REPORTAGE
Richard Rabary Razafindrazaka : Président du Syndicat professionnel minier de Madagascar

« Déclarons la guerre contre l’économie souterraine… »
Madagascar peut devenir un pays à vocation minière : Les petites mines y ont un grand rôle à jouer. Le Syndicat Professionnel Minier de Madagascar (SPMM) y croit. Parmi les conditions de réalisation de cette vision, la bonne gouvernance minière pour contrer les différentes formes de spoliation, d’abus de pouvoir et de mesures arbitraires. Le président du SPMM, Richard Rabary Razafindrazaka, répond à nos questions.
Bulletin TAHIRY : Parlez-nous du SPMM dont vous assurez la présidence :Richard Rabary Razafindrazaka : Au début de l’année 2010, le Comité National des Mines (CNM) a été muselé par le ministère de tutelle pour avoir fermement refusé l’augmentation illégale et injustifiée de plus de 200% des frais d’administrations minières. Des opérateurs des petites mines ont alors jugé indispensable de se regrouper au sein d’un syndicat pour pouvoir agir en toute légalité. En janvier 2012, le SPMM est créé par les principaux groupements et fédérations des petites mines, couvrant toutes les professions qui travaillent l’or, les pierres précieuses et semi-précieuses, les pierres industrielles et les fossiles. Nous avons rejoint le FIVMPAMA qui nous a confié la présidence de sa Commission Mines en 2015. Notre devise est :«Tsy misy firenena matanjaka raha tsy matanjaka ny mpandraharaha teratany ao aminy» ! (Il n’y a de Nation prospère que si les entrepreneurs privés nationaux le sont d’abord !)
On dit souvent que les Malagasy vivent pauvres dans un pays riche, notamment sur le plan minier !
En fait, je pense que le problème affecte tous les
plans de l’économie et du social de la Nation.Nous
sommes un peuple traumatisé par notre propre
histoire depuis « le zarazarao anjakàna » de la colonisation qui a su graver en nous un sentiment de
méfiance réciproque et une réaction d’auto-défense « ory hava-manana » pour nous diviser ! Et à
ce jour, nous n’avons pas encore su la «digérer» pour
en faire une force unificatrice. D’autres pays l’ont fait :
des Nations se sont levées comme un seul homme
dans les moments cruciaux de leur histoire, tandis
que nous, nous gardons cette légendaire passivité
maladive, voire suicidaire ! Voyez notre manque de
solidarité pour revendiquer nos Iles Eparses qui
mettraient fin à nos misères avec ces réserves de 6 à
12 milliards de barils de pétrole et de 3 à 5 milliards
de m³ de gaz !
Des profiteurs apatrides malveillants, malagasy
sur le papier ou en passe de l’être, l’ont compris et
ont profité des failles de l’Etat avec la complicité
de nationaux égoïstes et véreux. Les vrais patriotes
malagasy avec des moyens colossaux comme les
leurs, auraient aidé le pays à accéder à des conditions de vie décentes mais non développer par tous
les moyens (grandes et petites corruptions, blanchiments et trafics en tous genres, détruisant notre
système de valeurs,…) une économie souterraine
incontrôlable par l’Etat afin de monopoliser tous les
secteurs vitaux et de s’enrichir toujours plus à notre
détriment.
Déclarons ensemble et ouvertement la guerre
a l’économie souterraine. Le manque à gagner
dû aux trafics de produits des petites mines serait
de 10 milliards USD en 15 ans, soit plus de 650 millions d’USD par an. Bien plus que le 11ème FED ! Ce
fléau tue à petit feu les vrais opérateurs et le peu
d’économie réelle en faussant toutes les règles de
la concurrence et le respect des normes du marché
par la corruption à grande échelle!
Invisible mais pourtant bien ancrée de mille manières dans notre quotidien, elle nous dépouille
de nos richesses, de nos terres, de nos valeurs et
de notre identité de par ses puissants réseaux
commerciaux et ses relations ! Bref, elle nous invite
à assister à notre propre extermination progressive
et silencieuse, tout en nous narguant pour notre
incroyable capacité d’inertie consciente ! Mais où
est donc notre fierté ?
Le SPMM y croit, à condition de prendre comme priorité, d’éradiquer l’économie souterraine, de promouvoir la bonne gouvernance minière pour contrer les différentes formes de spoliation, d’abus de pouvoir et de mesures arbitraires de tous bords. Grand pourvoyeur d’emplois et de revenus décents, les petites mines peuvent et doivent jouer un rôle important dans la lutte contre cette misère généralisée, source du sentiment d’impuissance qui nous paralyse ! D’après un dossier de la Banque Mondiale (2015), les petites mines génèrent dans les 500 000 emplois permanents, sans compter les saisonniers (en période non agricole, beaucoup de paysans s’adonnent aux activités minières). Avec une moyenne de 4,8 personnes par ménage malagasy, ce secteur ferait vivre 2 ,5 à 5 millions sur les 22 millions d’habitants !
Les petites mines, un levier de la croissance économique : que suggéreriez-vous, alors ?La volonté politique de réserver aux nationaux l’exclusivité d’exploitation des petites mines pour en faire des piliers de l’économie et d’appuyer sur tous les plans, les opérateurs nationaux formels pour servir de modèle incitatif aux informels : financements, renforcements de capacité, études de valorisation technique de leurs permis miniers pour servir de contrepartie dans les partenariats. La recherche de débouchés commerciaux et de partenariats par les consulats et les ambassades. La création d’une banque minière pour offrir des crédits à taux réduits. L’initiation d’un dialogue permanent avec les opérateurs informels pour qu’ils rejoignent le secteur formel. L’application d’une politique de prévention des ruées et dégâts environnementaux par l’instauration de Comités Mixtes Locaux Permanents au niveau des fokontany, avec une sensibilisation tournante par le CNM et ses ramifications régionales. Un Code minier clair et facile à comprendre. Une vision systémique et une politique d’intégration verticale visant la maîtrise de la chaîne de valeur du secteur et de la valeur ajoutée pour aboutir à un processus de création effective de richesse bien répartie, au profit de la nation toute entière. Ainsi, les 10 000 km² actuels par permis de recherche devraient être ramenés à 5 000 km², sinon, 60 sociétés junior suffiraient pour couvrir tout Madagascar, ce qui entraverait l’expansion des petites mines, espoir réel de vie meilleure pour tout un peuple !
Qui sont vos partenaires ?Les techniciens du Ministère des Mines et les membres de la Société Civile au sein du Comité Conceptuel qui sont des personnes ouvertes et attentives au développement du secteur. Un échange fructueux sur les différents points de vue de chaque partie s’en est suivi. Nous faisons particulièrement appel au patriotisme des députés et des décideurs du Ministère qui vont se pencher sur l’avant-projet de loi sur le développement des petites mines que nous proposons. Nous sommes à leur disposition pour toutes les explications nécessaires et espérons pouvoir compter sur leur appui déterminant pour le faire approuver à l’Assemblée Nationale pour le bien du pays.
Qu’en est-il des étrangers qui exercent dans les petites mines ?
Nous sommes favorables à l’arrivée des sérieux investisseurs étrangers ayant un état d’esprit win-win.
Le statut de négociant ne doit être accordé qu’aux
personnes qui fournissent des garanties bancaires
suffisantes. . Le problème n’est pas la présence massive d’étrangers (Karana, Chinois, Sri-lankais, Thaïlandais ou Africains, selon les substances) mais l’attitude de certains : ils viennent exploiter la pauvreté
des Malagasy en les faisant travailler comme des
bêtes pour ensuite acheter les pierres à vil prix en
s’arrangeant entre eux pour maîtriser tout le réseau
commercial ; ils viennent financer les ruées dans les
aires protégées et les permis miniers d’autrui au mépris de la loi, et corrompre les mœurs locales (prostitution, flambées des loyers,…) puis s’imposent
comme en terrain conquis, parce qu’ils ont l’argent
et que l’Etat le leur permet par son inertie, faute de
moyens ! Quelle ironie du sort !
Ambatondrazaka à acheter les rubis des aires protégées, ils sont encore nombreux à Ilakaka et Sakaraha
à vivre dans de belles villas en dur avec des 4x4 dernier cri, en face des taudis et bidonvilles de nos compatriotes aux salaires de misère, chargés de creuser à
la main, à longueur de journée pendant des mois !
Quelles retombées positives leur présence a-telle apportées à notre économie ? Les produits et
recettes semblent, en plus, échapper aux contrôles
et aux statistiques de l’Administration ! Et pour masquer leurs méfaits, ils ont réussi à faire passer les
opérateurs des petites mines pour les trafiquants
(qu’ils sont !) aux yeux de l’opinion publique locale
et internationale, des médias ainsi que des bailleurs
de fonds. Mais si c’était vrai, nous serions alors les
bénéficiaires des 10 milliards d’USD et serions tous
des milliardaires qui auraient plutôt intérêt à se taire
pour que rien ne change !!! C’est révoltant !
Pas du tout ! Pensez-vous que si vous alliez au Sri Lanka, en Thaïlande, en Inde ou dans tout autre pays du monde, l’Etat et la population vous laisseraient faire ce que leurs compatriotes osent faire chez nous ? Alors, pourquoi les laisser le faire ici alors que ça nous rend encore plus pauvres ? Il nous semble logique et légitime que ce soient les Malagasy et Madagascar qui profitent en premier des mines malagasy : ce n’est que justice et patriotisme économique. Chaque nation digne de ce nom en ferait autant pour ses générations futures ! «Mba tsy ho tompony mangataka atiny isika malagasy e !»
Faudrait-il exclure les étrangers du secteur des petites mines alors?Non. Mais les étrangers ne devraient plus pouvoir descendre jusqu’aux carrières. Des comptoirs commerciaux seront installés dans les grandes villes à leur intention et permettront de lutter contre les trafics et l’économie souterraine grâce à la traçabilité des produits. Les étrangers seront toujours les bienvenus tant qu’ils apportent ce qui nous manque pour progresser ensemble mais non pour nous spolier sans vergogne et repartir en douce avec nos richesses ! Par ailleurs, nous demandons respectueusement à l’Etat de réviser sérieusement les conditions d’octroi de visas et leurs coûts trop bas actuels ainsi que les lois concernant les permis de travail ! Le système actuel est une véritable passoire. Des va-nu-pieds et soi-disant investisseurs avec juste quelques milliers de dollars ou d’euros, en profitent pour accaparer facilement, sans permis de travail, les petits emplois, gagne-pains habituels des Malagasy : démarcheurs, salons de coiffure, snacks, petits restaurants, petits commerces, poissonnerie, garage mécanique …
Quid de l’environnement ?Nous comptons d’abord faire connaître le Code Minier à tous, opérateurs, société civile, forces de l’ordre, autorités des Collectivités Territoriales Décentralisées,… pour faciliter son application. La tendance est de pointer du doigt les petites mines, mais nos bêches et nos pelles ne sont rien comparées aux tractopelles et excavateurs des grandes mines ! Mais, soyez rassurés, la Société Civile va intégrer le CNM pour donner des formations sur la gestion de l’environnement.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Vision, politique, stratégie,…nous en avons grand
besoin pour avancer ! Mais vu la profondeur des
abysses économiques et sociales où se trouve notre
nation actuellement dépourvue de tout sens moral
à cause du poids journalier de la misère, et la force
colossale des adversaires qui ont intérêt à nous y
enfoncer encore plus, je crois qu’il nous faut plus
que la simple intelligence humaine: la Foi. Cette Foi
qui déplace les montagnes nous donne l’assurance
de connaître les vraies valeurs universelles, et le courage de nous battre pour les garder.
Cette Foi, source de Sagesse est, je le crains, ce qui
nous manque le plus, pour réussir ensemble, et
à laquelle chacun doit accéder par une prise de
conscience personnelle sur le sens profond d’être
un vrai patriote au quotidien
-
Voasary Ravo RAONIZAFINARIVO
Judicaelle Saraléa
Source : »» Tahiry n 55
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