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« Madagascar a besoin d’une vision à plus long terme »

Décollage, croissance économique, développement. Autant de notions au cœur des débats et discussions des économistes, des membres de la société civile et surtout des opérateurs économiques. Chaque cercle de réflexion ou d’action et également la classe dirigeante affichent un désir de redresser l’économie malgache. Rivo Rakotondrasanjy, Président du Comité de Pilotage du programme PROCOM*, Vice Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Antananarivo, Secrétaire général du Fivondronan’ny Mpandraharaha Malagasy (FivMpaMa) – Groupement du Patronat malgache, partage son point de vue, en tant qu’opérateur économique et en tant que citoyen. Interview.
Pourquoi avez-vous créé le groupe «Débattons de la relance économique» sur facebook?La crise politique de 2009 a gravement affecté l’économie et le secteur privé, tout comme celles de 2002 et 1991. A la différence des situations précédentes, le secteur privé cette fois, mené par le FIVMPAMA, le GEM et le Tranoben’ny tantsaha, a voulu anticiper l’après crise en élaborant un plan de relance de notre économie avec l’appui de l’Economic Development Board of Madagascar. En décembre 2013, alors que nous étions en pleine campagne présidentielle du second tour, j’ai créé ce groupe de discussion sur facebook, dans lequel j’ai publié chaque page du document, pour le partage et pour susciter des discussions et des débats sur cette vision du secteur privé. Aujourd’hui, des thèmes d’actualités économiques, sociales, géopolitiques, géostratégiques concernant ou pouvant ntéresser de loin ou de près Madagascar y sont discutés tous les jours par les quelques 3 100 membres.
Madagascar est revenu à l’ordre constitutionnel depuis deux ans. Comment appréciez-vous la situation économique actuelle du pays ?Madagascar est dans un contexte post crise qui perdure. Nous sommes dans une démarche de construction de notre Etat avec toutes ses institutions, et de notre Nation avec tout ce qui la compose. Nous ne nous trouvons pas encore dans la phase d’une relance économique, qui suppose une cohérence dans les démarches, une bonne synergie des forces et une dynamique d’ensemble entre l’Etat, le secteur privé et la société civile en général, et surtout une vision claire du futur avec une visibilité plus loin que le très court terme, pour être effective.
Qu’en est-il donc du programme élaboré ?L’Administration, à mon avis, depuis ce retour à l’ordre constitutionnel, a fait globalement ce qu’elle devait faire sur la forme et sur le principe, c’est à dire mettre en place les institutions, définir le cap qui est le Plan National de Développement, et élaborer le plan de mise en œuvre. L’amélioration de la plateforme de dialogue public-privé, la loi sur le partenariat public-privé en sont des exemples positifs, entre autres. Par contre, tout le monde sait qu’il en faudra beaucoup plus que tout cela pour lancer la dynamique de relance et de construction, comme rétablir la confiance entre l’Etat et ses administrés, celle avec nos partenaires de développement, ainsi qu’améliorer le contexte et l’environnement social, politique et économique global. Mais malheureusement, le déficit chronique de la trésorerie publique ne rend pas les choses faciles.
L’Etat a donc un rôle à jouer dans la relance économique.Bien sûr. Et le rôle de l’Etat dans la relance économique est primordial. L’Etat agit sur l’environnement global, les infrastructures de base, le cadrage macroéconomique, le social... L’existence d’un environnement socio-économique opportun et favorable à des décisions d’investissement et propice à la consommation est un préalable à une relance économique. L’action de l’Etat sur cet environnement se matérialise par des textes de lois, des décrets, des arrêtés ou même de simples notes. Donc si le système qui propose, vote et applique ces textes est défaillant, il est difficile d’espérer un environnement propice à une relance. C’est l’Etat (avec ses structures et démembrements) qui a la prérogative d’action sur ce système.
Vous avez évoqué le problème de trésorerie de l’Etat. Comment pourrait-il alors apporter sa part dans la relance économique ?Le problème de trésorerie de l’Etat est à la fois conjoncturel et structurel. Conjoncturel parce qu’aujourd’hui, l’Etat n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins ou vit au dessus de ses moyens. Structurel, parce que nous avons un tissu économique qui déséquilibre de fait notre balance commerciale et notre balance des paiements. Pour le premier problème, l’Etat doit envoyer des signes forts à ses contribuables pour les inciter à se formaliser et à honorer leurs obligations citoyennes. Il s’agit de montrer qu’il fait lui aussi un effort dans son train de vie en réduisant de manière optimale ses dépenses. C’est juste une question de décision qui matérialise une volonté politique, traduit dans la Loi des finances. Par contre, pour le second problème, il s’agit de transformer progressivement notre tissu économique en favorisant la création de valeurs ajoutées localement, c’est-à-dire, arrêter d’exporter nos ressources à l’état brut et produire sur place le maximum de nos besoins. Ceci relève de la mise en place d’une politique industrielle. Justement, le Syndicat des industries de Madagascar (SIM) en a élaboré une en 2014.
Madagascar devrait-il se cantonner aux bailleurs de fonds traditionnels ou trouver d’autres sources de financement – internes ou externes ?Madagascar doit d’abord avoir un projet de société qui a l’adhésion du grand nombre. Ce projet doit montrer nos ambitions, nos potentiels et nos moyens. Que voulons-nous exactement ? Comment envisageons-nous de procéder pour atteindre nos objectifs ? C’est le mode de financement de ce projet qu’il faut résoudre dans sa globalité. Là encore, le manque d’argent crucial immédiat nous empêche de réfléchir sur le problème global posé par les enjeux du financement de notre développement. Or à ce niveau, les enjeux sont plus stratégiques qu’alimentaires. Négocions des financements à court terme pour régler nos problèmes de court terme et donnons-nous le temps de réfléchir sur nos engagements à long terme.
Pourriez-vous rappeler brièvement le contenu du programme de relance que vous aviez élaboré au lendemain de la crise 2009 ?L’idée générale du plan est de proposer un système de développement qui protège au maximum l’économie des aléas politiques par la mise en place d’une structure de concertation publique privée pour la conception, l’exécution et le suivi du plan. L’étude préconise l’amélioration de l’environnement des affaires, le lancement des grands chantiers publics, la facilitation de l’accès au financement pour les Petites et Moyennes Entreprises, l’adoption de mesures fiscales incitatives pour le secteur privé ainsi que la promotion des secteurs porteurs.
Quelles améliorations apporteriez-vous au PND ?A ce stade, je pense que ce PND a le mérite d’exister. Il n’est pas parfait, mais il est évolutif et nous devons l’enrichir en permanence. L’essentiel, c’est qu’il trace les grandes lignes de l’ambition du pays. Le risque, c’est que les bailleurs de fonds ont leurs propres exigences dans la forme et dans le fond, comme dans tous dossiers bancaires. Les modifications et ajouts, si besoin est, doivent être dans le sens de ces exigences. Pour nous, Malgaches, ne pas commencer à travailler avec ce plan, c’est se chercher éternellement des excuses.
Quelles sont les priorités des priorités que l’Etat devrait fixer pour que la relance économique soit effective?Aujourd’hui, l’enjeu est d’abord psychologique. L’Etat doit envoyer des signes forts aux chefs d’entreprises, aux ménages et aux différents partenaires du développement, qu’au moins il prend les problèmes par le bon bout. Il est possible que les solutions ne soient pas évidentes dans l’immédiat, mais il est important pour nous de savoir que nous sommes dans le bon chemin en termes de recherche de solutions sur les préoccupations primordiales des malgaches dont l’insécurité, l’énergie, la JIRAMA, les divers foyers de tensions, le contenu des lois de finances ou encore Air Madagascar.
Dressez-nous l’image d’une économie prospère.Une économie prospère n’est pas la finalité mais un moyen pour atteindre le développement – le bien-être des citoyens. La condition du développement est, en amont, la croissance économique soutenue qui engendre une richesse, et en aval, le partage juste et équitable de cette richesse créée. L’Etat est partie prenante tant en amont qu’en aval, et au cœur de ce système de création et de partage de richesse.
Madagascar sera-t-il prospère, un jour?Moi, j’y crois. Et surtout à un Madagascar développé.
Madagascar a voulu renforcé le concept de Partenariat Public-Privé (3P). Qu’en est-il réellement et quels en sont les résultats ?Le concept 3P existait déjà, mais il n’était pas vraiment cadré par une loi. Maintenant, nous nous acheminons vers l’effectivité de cette loi. Nous sommes au commencement d’une nouvelle manière de travailler ensemble, j’entends par là le public et le privé. Le début est encore timide vu l’ampleur des dossiers urgents, mais le concept 3P est d’abord un état d’esprit. De ce point de vue, je pense que c’est positif, rien qu’à voir la disponibilité et l’ouverture de l’administration aux dialogues. Un exemple frappant et très symbolique, les assises des PME sur la fiscalité et la douane organisées par le PROCOM au mois de juillet dernier, et qui a vu la participation en masse des hauts fonctionnaires de ces départements, conduits par leurs directeurs généraux.
Quels pourraient être les apports du simple citoyen pour la relance économique?Chaque citoyen a un rôle dans la relance économique. Etre citoyen suppose des droits et des devoirs. S’acquitter de toutes ses obligations et devoirs de citoyen est déjà un apport considérable. S’engager dans les différentes organisations qui veillent sur la société serait un plus.
Facebook ne représente qu’une petite portion de la population, allez-vous élargir le concept du groupe pour toucher le grand public ?«Débattons de la relance économique» sur facebook restera sur les réseaux sociaux. Il est conçu pour que chacun puisse y puiser des idées et des informations. Il est conçu pour échanger, partager et débattre. Il faut admettre qu’il est plus facile pour beaucoup de discuter sur les réseaux sociaux qu’autour d’une table entre quatre murs. Mais il n’est pas impossible de sortir de facebook pour discuter, comme nous l’avons déjà fait une fois, pour débattre de la croissance inclusive. Le débat a abouti à un recueil d’idées sur les thèmes débattus pendant une journée (l’économie rurale, le secteur informel, le secteur privé et l’énergie). Le document, un point de vue, est destiné à être présenté à des acteurs et partenaires du développement.
Il y a toujours un risque pour que les idées restent entre les membres ...Oui, mais chaque membre évolue déjà dans son contexte socio professionnel spécifique dans la vie réelle. Il revient dans son contexte avec des idées enrichies, et c’est le but de l’initiative. C’est très important car le groupe n’a ni la prétention, ni l’ambition de faire un débat national.
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Judicaelle Saraléa
Voasary Ravo Raonizafinarivo
Paru dans le bulletin TAHIRY N°54
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